Les virus n’ont pas tous les mêmes sites et moyens d’action. Certains font craindre épidémies et pandémies, quand d’autres sont à l’origine de certains cancers.
Les produits environnementaux, les toxiques « sociaux » ne sont pas seuls à accroitre le risque de cancer. En rendant un avis favorable à l’indication pour les garçons du vaccin contre les papillomavirus, l’HAS a rappelé le rôle de certains agents infectieux dans la genèse du cancer.
Des virus sournois mais potentiellement agressifs
Il existe plus de 170 papillomavirus infectant les humains (human papillomavirus HPV). Une quarantaine infectent la sphère anogénitale, dont douze sont à haut risque oncogène. D’autres, à bas risque (HPV 6 et 11 par exemple), sont responsables de condylomes (« verrues »). La transmission se fait par contact cutanéo-muqueux, en général lors de relations sexuelles, avec ou sans pénétration, et est possible malgré l’usage de préservatifs. Les HPV sont extrêmement contagieux et 70 à 80% des femmes et des hommes sexuellement actifs seront infectés par ces virus au cours de leur vie.
L’organisme s’en débarrasse spontanément en 2 ans dans 90% des cas, et la majorité des infections sont asymptomatiques. Si l’infection persiste, il peut en résulter le développement de lésions précancéreuses, évoluant elles aussi en silence pendant dix à vingt ans.
Chaque année en France, on compte plus de 6000 cancers causés par les HPV. Si un quart concerne les hommes (oropharynx surtout, plus de 1000 cas/an, puis anus et pénis), les femmes restent les plus touchées : environ 4500 nouveaux cas par an, dont près de 3000 du col utérin, mais aussi de la vulve, du vagin, de l’anus et de la sphère ORL.
En fait, presque tous les cancers du col utérin sont liés aux HPV et, dans les deux sexes, 90% des cancers de l’anus et 35% de ceux de l’oropharynx.
De plus, chaque année en France près de 100 000 individus sont atteints de verrues ano génitales, bénignes mais récidivantes, qui affectent durablement leur qualité de vie. La papillomatose respiratoire (laryngée) récurrente est beaucoup plus rare.
Les vaccins : une prévention contre les principaux HPV oncogènes
Ces vaccins, obtenus par génie génétique, sont constitués de pseudo particules qui miment le virus, par assemblage de protéines L1, spécifiques des différents génotypes d’HPV. Le système immunitaire fabrique des anticorps anti L1, qui, migrant à la surface des muqueuses, notamment du vagin et du col utérin, et se fixant sur les HPV du partenaire, les empêchent de pénétrer dans les cellules.
Pour être efficace, le vaccin doit être fait avant tout contact « infectant ». Mais bien évidemment, l’infection ne résulte pas toujours du premier rapport intime ; il semble donc raisonnable de considérer que le risque de contamination s’étend sur cinq ans environ, et qu’il est possible de vacciner jusqu’à l’âge de 19 ans. L’OMS dissocie activité sexuelle et prévention vaccinale et recommande de vacciner dès l’âge de 9 ans.
Le vaccin ne peut pas être efficace sur tous les génotypes mais les deux premiers vaccins commercialisés protègent contre les HPV 16 et 18, responsables de 70% des cancers invasifs du col utérin et contre la moitié des souches responsables des lésions précancéreuses de haut grade. Le vaccin 9 valent, disponible depuis 2018 et recommandé pour initier les nouveaux schémas vaccinaux, vise à protéger contre 90% des génotypes responsables de cancers du col et 80% de ceux en cause dans les lésions précancéreuses.
En France la vaccination HPV était recommandée chez les jeunes filles et les adolescents immunodéprimés des deux sexes, âgé(e)s de 11 à 14 ans, avec un rattrapage jusqu’à l’âge de 19 ans révolus. Chez les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) cet âge de rattrapage est porté à 26 ans.
Ces vaccins sont très efficaces : au Royaume Uni, depuis 2008, un programme étendu de vaccination a fait diminuer de 86% la fréquence des infections par les types 16 et 18, de 90% celle des condylomes chez les filles de 15 à 17 ans, et de 70% chez les garçons du même âge…
Protéger contre une infection cause de cancer réduit la fréquence de celui-ci. Ainsi en Australie, où les filles sont vaccinées depuis 2007, la prévalence des infections par HPV est passée de 23% à 1, 5 % en 10 ans. Ce pays pourrait donc être le 1er à éliminer le cancer du col utérin.
Les vaccins HPV cristallisent les critiques des « vaccinosceptiques »
Début 2019, c’est la vaccination HPV qui s’invite à nouveau dans la polémique en France, alors que le taux de couverture reste le plus bas d’Europe (24%). Un collectif scientifique représentant 50 institutions et sociétés savantes avait publié un appel allant dans le sens des autorités de santé pour le lancement d’une « vaccination universelle gratuite ou remboursée, sans distinction de sexe ou de risque, pour protéger filles et garçons ».
Les opposants à la vaccination se sont alors mobilisés avec force arguments.
Il est exact que la réduction de l’incidence du cancer invasif de l’utérus n’avait pas encore été démontrée jusqu’il y a quelques semaines La raison est simple : le vaccin date d’une douzaine d’années, la population est vaccinée à partir de 11 ans, et ce cancer est exceptionnel avant 25 ans… il fallait donc attendre encore un peu pour confirmer que la quasi disparition des lésions précancéreuses du col observée dans plusieurs pays se solderait par une chute du nombre de cancers. C’est chose faite puisque la Suède vient de montrer les résultats observés dans une cohorte de plus de 1,5 millions de jeunes filles et femmes de 15 à 30 ans, dont 500 000 vaccinées avec le vaccin quadrivalent, suivies de 2006 à 2017. Lorsque le vaccin est administré avant l’âge de 17 ans, le risque de développer un cancer du col utérin est de 88% inférieur à celui des femmes non vaccinées.
La prétendue augmentation de l’incidence du cancer dans certains pays ne résiste pas à l’analyse: elle n’existe pas en Australie et Norvège, pays pourtant cités; en Grande Bretagne cette hausse, qui concerne les cancers les moins étendus, est liée à un « biais de recrutement », l’âge du dépistage ayant été décalé de 20 à 25 ans. Enfin, un journal indien a retiré un article évoquant une augmentation en Suède, car l’auteur, sous couvert d’un pseudonyme, avait usurpé son appartenance à un institut de recherche renommé.
Pour d’autres, vacciner serait inutile au motif que cela ne dispense pas du dépistage par frottis. Mais il s’agit de prévenir, là où le frottis ne permet que le diagnostic plus précoce d’une maladie installée. De plus, alors que les femmes les plus vulnérables sur le plan sanitaire ou socioéconomique présentent souvent un risque plus élevé de cancer du col, ce sont elles qui participent le moins au dépistage organisé.
La vaccination élargie est donc un facteur de réduction des inégalités sociales de santé, et elle est complémentaire du dépistage car elle ne protège pas de tous les types d’HPV oncogènes et surtout ne concerne pas les femmes âgées de 25 à 65 ans.
Les rumeurs (certains media et réseaux sociaux) se sont focalisées sur les effets indésirables des vaccins HPV qui, comme la grande majorité des vaccins « inertes », contiennent de l’aluminium. La présence d’adjuvant conditionne l’efficacité de ces vaccins et permet d’élargir leur spectre d’activité en assurant une protection croisée vis à vis de génotypes non présents dans le vaccin. L’aluminium est le métal le plus abondant sur terre. Pratiquement toutes les denrées alimentaires en contiennent, notamment les végétaux et l’eau. Or, même si l’absorption orale est très faible, la quantité passant chaque jour dans la circulation est largement supérieure à celle administrée ponctuellement dans les vaccins. De même, il n’a pu être établi de lien de causalité entre vaccination et survenue de maladies, notamment auto immunes. Une étude française portant sur 2,3 millions de jeunes filles, vaccinées et non vaccinées, avait montré un très léger sur-risque de syndrome de Guillain Barré après vaccination (1 à 2 cas pour 100 000 vaccinées). Cela ne remettait pas en cause la balance bénéfice-risque puisque sont ainsi évités 250 décès par cancer du col pour 100 00 vaccinées. Les études internationales récentes, dont une revue Cochrane incluant 26 essais randomisés, n’ont pas retrouvé cette possible association et l’OMS confirme régulièrement l’innocuité des vaccins HPV. Les effets secondaires les plus fréquents sont des réactions locales, parfois une fièvre et des douleurs musculaires ou articulaires, et plus rarement des syncopes vaso-vagales justifiant l’injection en position allongée suivie d’une surveillance de 15 mn.
La généralisation aux garçons, un pas décisif pour la prévention
Le HCSP avait estimé en 2016 que la vaccination universelle des garçons n’apporterait pas de bénéfice important pour la population. Cette position a été révisée, la France s’apprête donc à rejoindre la quinzaine de pays d’Europe qui ont adopté cette stratégie.
L’augmentation de la couverture chez les filles reste la stratégie la plus efficace dans les pays où la couverture est médiocre (16% en France…) et doit rester la priorité. L’élargissement permettra de mieux protéger les filles et femmes non vaccinées ainsi que les garçons et hommes (hors de toute stigmatisation). Même si, en l’absence de données cliniques, les vaccins HPV n’ont pas d’indication à ce jour pour la prévention des lésions et des cancers oro pharyngés, l’amélioration de l’immunité de groupe sera profitable à tous.
Le coût annuel de la prise en charge des cancers dus aux HPV est estimé en France à 240 millions d’euros ce qui, au prix actuel des doses, permettrait de vacciner une génération (800 000 naissances) par an.
L’objectif de protection de la population implique la participation des professionnels de santé, dans la mise en œuvre d’actions contribuant à restaurer la confiance du public et à faciliter l’accès à cette vaccination.
Cette extension risque de se heurter au contexte prévisible de pénurie mondiale liée à une demande très supérieure aux capacités actuelles de production. C’est pourquoi il est essentiel de proposer cette vaccination dès l’âge de 11 ans, ce qui permet de proposer un schéma à 2 doses au lieu de trois, schéma qui sera peut être encore allégé dans l’avenir.
Dr Jean SARLANGUE, pédiatre infectiologue
CHU Bordeaux