Durant ces derniers mois, des centres « éphémères » de dépistage du covid 19 se sont multipliés.
Je voudrais partager avec vous les coulisses de l’organisation de deux de ces centres bordelais dont la mission de coordination m’a été confiée par le CHU de Bordeaux en cet été 2020. Cet article ne se veut pas être un nouvel exposé sur la Covid 19 mais plutôt mon regard sur l’organisation de ces centres.
En avant-propos je veux souligner le travail titanesque qui a été effectué par les équipes du CHU, de l’ARS mais aussi de la mairie, de la Protection civile et des infirmier(es) libéraux. Personne n’a compté ses heures ni son énergie, d’où l’épuisement qui est maintenant perceptible. Je suis convaincu que tout ceci a aussi renforcé les liens entre les services et a même permis de découvrir le travail de l’autre. Après ce paragraphe indispensable revenons à nos moutons…
La mission
Thierry, votre mission si vous l’acceptez…Tiens, j’ai déjà entendu ça quelque part ….Sera de coordonner pour le CHU de Bordeaux deux centres de prélèvement qui seront créés dans le quartier des Chartrons et du Grand Parc pour 10 J. Vos coordonnées seront fournies à l’ARS pour finaliser la mise en place et voici les noms de vos contacts sur le CHU.
OUF ! Ça tombe bien, je les connais, car après 28 ans de CHU on finit par connaître du monde…. Pourquoi ce OUF ? Parce que la communication est généralement plus facile quand on connaît les personnes et ce travail de coordination repose essentiellement sur la communication.
Les protagonistes et leurs rôles opérationnels
Je ne vous détaille pas là les discussions pour savoir qui fournit quoi, quand, où…, et ça prend un certain temps voire un temps certain …et oui tout le monde à des contraintes en matière de fournitures et ou de personnel. Tout le monde se débrouille dans l’urgence.
L’ARS initiateur du projet, son rôle :
● Fournir les équipements de protections
● Coordonner le planning d’infirmier(es) libéraux (IDEL) qui seront présent sur site pour réaliser des prélèvements
La mairie, son rôle :
● fournir les barnums
● fournir les séparations en bois pour organiser l’espace
● fournir des tables et des chaises
● fournir des réfrigérateurs pour stocker les prélèvements (faut-il encore en trouver)
● faire nettoyer quotidiennement les deux sites (en plus de nos désinfections)
● fournir des bonbonnes d’eau
● fournir les repas de midi
La protection civile, son rôle :
● fournir des secouristes pour faire fonctionner les deux sites (administratif et préleveurs). Pour ceux qui ne connaissent pas ce type d’association. Les bénévoles secouristes ne sont pas forcément des professionnels de santé. Ils viennent de tous les horizons professionnels.
● fournir un chef de dispositif (Etienne) et un chef de poste (Rudy)
Le CHU, son rôle :
● fournir le complément d’équipement nécessaire
● fournir le matériel informatique
● fournir les KITS pour les prélèvements
● acheminer et analyser les prélèvements
● collecter les DASRI
● fournir « MOI » pour piloter le dispositif et faire les comptes rendu quotidiens à tout le monde.
L’organisation des lieux
Suivant le grand principe de la « marche en avant », il nous a fallu penser la disposition des sites et des boxes afin que nous puissions garantir la distanciation sociale et le fait que les personnes venant se faire prélever ne croisent pas celles qui ne le sont pas encore. Tout ça grâce à de grandes plaques en bois et des barrières Vauban que nous avons positionné, pour une grande partie avec mes deux collègues de l’ARS (Maïté et Anne Marie). Cela renforce la notion de travail d’équipe, les muscles des bras et du dos ; le tout sous une chaleur estivale.
L’organisation des équipes
L’organisation était basée sur la participation de bénévoles secouristes de la protection civile et le précieux soutien d’infirmier(es) libéraux.
Nous avons, avec la participation d’équipes du CHU, former les bénévoles au recueil de données administratives. Certains secouristes avaient été formés aux prélèvements et d’autres restaient à former. C’était aussi ma mission.
Nous avions pris la décision de créer par site, deux postes administratifs, avec un ou deux secouristes et deux à trois boxes de prélèvements, à adapter en fonction du flux de patient. Notre objectif était de limiter au maximum la création de files d’attente.
La chose que nous avions sous évaluer c’est le temps nécessaire à l’enregistrement des patients. C’était notre principal frein.
« Note pour plus tard »… Les imprimantes laser supportent mal la chaleur, les étiquettes aussi, et les deux ensembles, c’est un festival !
La gestion des prélèvements et l’information des patients
Les prélèvements étaient conservés à 5°C soit dans des glacières puis dans des réfrigérateurs soit directement dans des réfrigérateurs. Ils étaient récupérés deux fois par jour par nos équipes pour être acheminés au laboratoire du chu. Les résultats étaient disponibles sous 24h-48h via un lien qui était envoyé par SMS sur les téléphones des personnes. Ils étaient recontactés par le CHU si le résultat était positif. Je dois dire que cela a très bien fonctionné, nous étions même plus proche des 24h.
Et mon rôle dans tout ça ?
Briefing, le matin, avec le chef de dispositif et le chef de poste de la protection civile pour connaître le nombre de secouristes présent et connaître les besoins en formation.
Briefing des équipes sur l’organisation de la journée et sur les mesures d’hygiène et de protection.
Vérification des stocks de matériel et prévision des réapprovisionnements.
Formation ou vérification des acquis des IDEL et des secouristes à l’habillage / déshabillage et aux prélèvements (plus d’une quinzaine de personnes formés sur les deux sites pendant les 10 jours), évaluation des pratiques et réajustement le cas échéant.
Rappel et application des consignes d’hydratation et de rotation sur tous les postes et particulièrement sur ceux des prélèvements. Et oui, nous avons connu des chaleurs intenses et sous une tenue imperméable, je vous garantis une énorme suée. Le risque de déshydrations était très important. La fatigue arrive vite et avec elle, le manque de lucidité et donc la majoration du risque de contamination.
Important travail de communication dans les files d’attente pour expliquer les délais d’attente, le déroulement de l’examen, répondre à toutes sortes de questions, dédramatiser la situation et parfois réguler quelques mauvais comportements. Mais aussi maintenir le moral des équipes en entretenant une ambiance conviviale. Je vous assure que c’est primordial dans ce contexte anxiogène !
En fin de journée avec les chefs de centres, synthèse et rédaction du compte rendu.
Et tout ça sous plus de 30°c avec un masque toute la journée.
Je voudrais revenir sur la technique de prélèvement. Non pas pour en faire une énième description, vous trouverez une multitude de tutoriels sur internet, mais plutôt pour vous donner des trucs et astuces :
● Faire positionner le masque du patient sur sa bouche. On se protège un peu des projections.
● Repérer la narine qui fonctionne le mieux, il y en a toujours une…
● Se positionner sur le côté. Là aussi on se protège un peu des éventuelles projections.
● Basculer la tête du patient légèrement en arrière. Cela vous évitera de vous plier en deux et ça améliore la vision.
● Positionner sa main derrière la tête du patient. Cela l’empêchera de la reculer au moment de l’introduction de l’écouvillon. Cela vous permettra aussi de mieux gérer votre force et la pression que vous effectuerez contre la paroi postérieure.
● L’introduction doit se faire perpendiculairement au plan de la face pour éviter de buter sur les cornets.
● Lever le bout du nez avec la main qui va ensuite basculer derrière la tête permet de dégager la vision et facilite le passage de l’écouvillon.
● Tenir l’écouvillon un peu comme un stylo rend le geste plus précis et facilite les rotations.
Bien sûr vous devez vous adapter à l’âge, la morphologie et surtout au degré d’anxiété des patients. Il est vrai que l’on n’a pas l’habitude d’écouvillonner le fond des narines. Prendre le temps d’expliquer le geste est assurément un gage de réussite.
Avec plus de 2400 prélèvements en dix jours sous une chaleur caniculaire les équipes n’ont pas démérité et je les félicite encore. Cette crise a, assurément, renforcé les liens ville-hôpital-ARS qu’il va falloir maintenir. Nous apprenons de ces crises, nous devons en profiter, dès que la situation s’améliorera, pour penser des organisations agiles, réactives qui permettent une réponse encore plus efficace. J’espère que j’ai pu vous montrer un aspect un peu diffèrent de la gestion de cette crise.